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Raphaël Arnaud, « Périphérie du Rêve » (titre provisoire), janvier-avril 2016

Un entretien avec Raphaël Arnaud

Raphaël Arnaud est photographe et membre du collectif Soon. Pour diverses raisons il nous a été difficile de publier sur un seul numéro l’ensemble des membres contribuant à ce collectif hétérogène et novateur. Personnalité discrète et chaleureuse,  Raphaël a tout de même accepté de nous accorder un entretien en décembre dernier afin de pouvoir échanger quelques points de vue à propos de tout, de rien, mais surtout de photographie. Entretien en forme de Teaser…

Raphël bonjour, est ce que tu peux te présenter en quelques mots ?

Je suis l’un des derniers enfants de la génération 70, je viens d’une famille ou l’on est un curieux mélange de classe ouvrière et de petits bourgeois, et où les petits bourgeois ne sont pas restés très bourgeois et la classe ouvrière pas si ouvrière que ça. Du coup j’ai eu une enfance heureuse, dans un milieu où je vivais très au contact de l’art. J’ai un grand père qui a accumulé des œuvres d’art parce qu’il était archéologue, et donc j’ai passé mon temps à jouer entre deux aquarelles, à voir des antiquités diverses et variées… Voilà.

Donc une enfance baignée dans l’art ?

Assez. Mais c’était quand même dans une version très classique.

Ce qui n’est pas un crime.

Non, du tout. Mon grand père avait tendance à se considérer lui même comme l’un des derniers impressionnistes. Et comme il était encore en train de peindre dans les années 70… C’était assez tardif !

Comment as-tu rencontré la photo ?

C’est assez bizarre, parce que ce n’était pas du tout dans le champ familial. Je me souviens que, petit, j’étais déjà assez intéressé par la photo, mais il n’y avait pas d’appareil chez moi. J’ai fais quelques films, gamin, dans les années 80, mais au final ça ne c’est pas vraiment concrétisé jusqu’à ce que je décide finalement de sortir de mes études et de faire autre chose. Là j’ai hérité d’un boitier qui m’a amené à expérimenter la photographie, et, comme j’en ai toujours eus l’habitude, je n’ai pas cherché quelqu’un pour m’expliquer comment ça marchait. Du coup j’ai mis longtemps à comprendre que j’arriverai à en faire quelque chose. Mais finalement ça c’est avéré beaucoup plus intuitif que mes vaines tentatives en peinture ou ailleurs.

Et tu es devenu photographe.

Oui. Pas au forceps, mais un petit peu par la voie détournée, à petits pas.

 

Inbetween © Raphaël Arnaud, « Périphérie du Rêve » (titre provisoire), janvier-avril 2016

Inbetween © Raphaël Arnaud, « Périphérie du Rêve » (titre provisoire), janvier-avril 2016

 

Quelle est ton activité photo aujourd’hui ?

Alors : j’ai une partie d’activité rémunératrice dans le spectacle, tout autour de la scène, de la photo de plateau, de travail avec les comédiens ; et une autre partie, plus personnelle, qui est en fait finalement plus le cœur de ma pratique. Et dans ce cœur de pratique je travaille exclusivement au feeling.

Plutôt couleur ou plutôt noir et blanc ?

C’est très difficile parce que pour moi le numérique a vraiment révolutionné la couleur. Même si on arrive à s’en sortir très bien en grand format et en moyen format en couleur, je trouve qu’en 24×36 on est très limité par la taille du film. Ce qui fait que j’ai assez peu pratiqué la couleur dans le passé, mais que par contre, je suis en train d’y venir. En fait je trouve que la couleur est un exercice très difficile. La couleur est un art très difficile. Et c’est, je pense, lié au fait que j’ai vu beaucoup, beaucoup, de peinture, et que je vois forcément la photo couleur comme de la peinture. Quasiment ou presque. Puis je trouve qu’on perd un petit peu de spontanéité en travaillant en couleur. Donc j’aurai tendance à dire que pour le quotidien, pour de la photo très spontanée je prendrais un boîtier avec lequel je travaillerais en noir et blanc. Et puis la couleur, c’est de temps en temps, sur un projet très précis.

Et tu es membre d’un collectif, qui se trouve être le collectif Soon.

Oui. Soon qui est un collectif de photographes à la fois expérimentés et dilettantes, et aussi un groupe qui est une espèce de groupe de non alignés. On s’est tous rencontrés autour d’une pratique de polaroïd, mais certains on déjà quasiment abandonné ce media alors que d’autres le pratique presque quotidiennement. C’est un groupe d’opportunité qui s’est finalement extrêmement bien cimenté. C’est un très bon collectif, c’est un projet très jeune, mais je pense que ce collectif a pas mal d’avenir. Je pense aussi qu’il est dans un univers, cet univers de la photo à Marseille, qui est quand même finalement assez pauvre. Même si on a quelques bons photographes, il n’y a pas vraiment de ciment dans la photographie marseillaise.

J’ai une vision de la photographie qui est assez faite de quotidien et de hasard plus que de mise en place d’une histoire qu’on raconterait pour s’élever sur soi même. Ça a tendance à m’énerver ça…

Et donc, pour toi la photo qu’est ce que ce serait ? C’est le récit, le document le témoignage, la vision intérieure ? C’est l’œil du peintre que tu aurais voulu être ?

Le témoignage certes, mais finalement, il n’y a pas que ça. Pour moi on ne peut pas aspirer à la neutralité. Donc finalement ce n’est sans doute pas ça. Le récit oui, beaucoup plus, même si on ne construit pas forcément des histoires complètes, même si une photo n’est pas forcément une œuvre d’art achevée, c’est même valable pour une série d’ailleurs.

La photo est incontestablement un artefact, mais est-ce que pour autant la photo est une œuvre d’art ?

C’est une question qui est très peu simple. Je ne sais pas. Je n’ai pas à répondre à cette question. Je pense que la pratique est en soi une tentative de répondre aux questions. De manière générale c’est plus dans l’expérimentation que je trouve des réponses plutôt que dans le théorique. C’est aussi pour ça que je fais de la photo et pas de la peinture, mon esprit aurait tendance à me dicter des choix et des façon de faire – des processus – et souvent je me perds dans le processus alors que finalement en photo je trouve plus de liberté, et je laisse les choses arriver de manière plus simple.

Tu es de la fin des 70, je suis de 80, nous ne sommes est pas très éloignés de Thomas [Fabiani], puisqu’il doit être de 81-82, et la constance de notre génération, outre le fait qu’elle a généralement commencé par le numérique avant de  venir à l’argentique, c’est qu’elle considère comme secondaire tout ce que la génération précédente considère comme des éléments capitaux de la photographie. C’est à dire le bon éclairage, l’image propre, l’optique piquée, la règle des tiers, et jusqu’à des remises en cause plus fondamentales des dogmes de notre génération par la génération suivante, qui est par exemple « pas de flash ». Comment perçois tu le courant de fond des pratiques de l’esthétique pauvre qui est de plus en plus prégnant dans la photographie, y compris la photographie commerciale ?

Deux choses vraiment importantes sur l’esthétique pauvre : la première c’est que le retour des Diana au début des années 2000 a beaucoup joué, et qu’il a eu un effet de mode qui a beaucoup poussé vers une esthétique pauvre. Finalement l’esthétique pauvre a permis de sauver certains photographes qui n’avaient pas d’esthétique du tout. Ce n’est pas très grave, mais au final, il faudra forcément trier. J’ai un énorme ressenti là dessus, c’est qu’on a besoin de trier dans ce gros corpus de low-fi, et encore une fois sur l’esthétique pauvre, je ne sais pas de quelle génération je fais partie, mais ce qui m’intéresse c’est l’esthétique de manière générale, et je ne suis pas figé sur un dogme. Si jamais j’estime qu’un projet mérite des images propres de coin en coin avec du piqué et une lumière crée et une construction d’image digne des maîtres du XVIe siècle, j’irai vers ça. La problématique c’est pas l’éclairage, c’est cette espèce posture entre les gens qui construisent et les gens qui déconstruisent. Je pense qu’il faut tout remettre en parallèle avec ce que l’on a à raconter, et que l’esthétique est au service du fond en photographie.

Comment vois-tu ta photographie ?

C’est bouillonnant, en perpétuelle évolution, c’est surtout aussi pas mal de pas en arrière pour essayer de comprendre. C’est beaucoup de travail sur le rapport aux choses, c’est un chantier perpétuel dont certaines parties sont terminées ou presque, et d’autres toujours complètement en friche.

 

Raphaël Arnaud, « Périphérie du Rêve » (titre provisoire), janvier-avril 2016

Deeper © Raphaël Arnaud, « Périphérie du Rêve » (titre provisoire), janvier-avril 2016

 

Est ce que tu dirais que tout photographe se révèle à lui même ?

Oui.

Tu es d’accord avec Léonard alors ?

[rires] Oui-oui !

Est-ce que tu portes un regard sur la photographie contemporaine ?

Oui. Et je suis assez partagé. Je suis assez partagé sur pas mal de choses qui sortent des écoles d’art – entre guillemets, parce que ce n’est pas que ça – et pour mille et une raisons. Il y a encore une histoire dogme peut être, mais pas uniquement. Je pense que malgré tout, le marché de l’art a fait beaucoup de mal à l’art en général, et j’éprouve une certaine gène quand un auteur est qualifié de photographe contemporain parce que je ne sais pas si on va y trouver à boire et à manger, ou quelque chose de purement mercantile, ou une vision qui soit propre et intéressante.

Par exemple j’ai été frappé par la pauvreté d’un salon de l’art qui a eu lieu à Marseille en septembre dernier. Il y avait une pauvreté de fond énorme. Alors on peut toujours dire qu’on a raté quelque chose, que l’on est passé à coté du sens, mais je vois quand même beaucoup de choses et… ce n’était vraiment pas ça.

Tu serais d’accord pour dire que le concept et le sens sont deux choses très différentes et que l’on a tendance aujourd’hui à dire que concept vaut sens ?

Ce qui n’est pas du tout évident pour moi.

Tu as parlé de la nécessité du tri dans la low-fi. Comment le vois-tu ce tri ?

Encore une fois c’est une question de sens. Malheureusement j’aurais tendance à dire qu’on ne va pas échapper au regard de nos successeurs.

 

Raphaël Arnaud, « Périphérie du Rêve » (titre provisoire), janvier-avril 2016

Circus © Raphaël Arnaud, « Périphérie du Rêve » (titre provisoire), janvier-avril 2016

 

Les bases de données peuvent craquer, et on sera dans le trou noir de l’Histoire!

Ce serait bien. Ce serait déjà un hommage pour tout ceux qui auront tiré leurs images, les auront laissé traîner dans un coin et qui seront retrouvées plus tard. J’ai du mal à lire les images sur flickr, et sur les réseaux en règle générales.

C’est un formidable catalogue visuel, mais il y a de plus de plus de personnes qui s’interrogent sur la réalité de l’image, sur le fait que la photographie ne peut exister virtuellement, pour une raison simple, c’est qu’elle est totalement tributaire du monde matériel, qu’elle ne peut pas s’en extraire et qu’il semble logique qu’elle y retourne pour pouvoir exister pleinement. Que dire ?

Des milliers de choses. Déjà je trouve que ça serait quasiment une question de respiration. C’est à dire que l’image tirée prend vie là où l’écran la laisse un peu comme si elle était scellée derrière sa vitre. C’est pas une histoire de magouille et de magie du tireur ou du labo. Même si on confiait des images à un mauvais tireur, on pourrait  toujours sortir du minilab et avoir des images plus vivantes que celles qui sont derrière un écran.

C’est une réflexion que nous semblons être plusieurs à conduite indépendamment en ce moment. On a fini de s’interroger sur l’image et sur l’esthétique, entre autre cheap justement, et peut être qu’il y a une mutation dans la réflexion. La réflexion sur l’image, sans être achevée, connaît un consensus dans l’idée d’équivalence : on considère qu’une bonne image vaut une bonne image, quelque soit le medium, quel que soit le procédé, quelque soit la filiation esthétique. Ça subverti les genres, la hiérarchie est abolie entre le reportage sauvage et la nature morte avec ses petites lumières ultra-travaillées. Il y un glissement du questionnement de l’image vers le tirage. Est ce que ça te semble correspondre à une réalité, et est ce que ça rejoint tes préoccupations ?

En fait pour moi ce n’est pas une problématique. J’ai tendance à considérer que la finalité ultime de mon travail c’est le tirage. Donc tous les pas qui me mènent sur un chemin photographique me mènent vers le tirage.

On passe de photographier pour capturer à capturer pour tirer ?

A vrai dire je ne me suis pas vraiment posée la question en ces termes. Mais ce que je sais c’est que l’image photographique, malgré ce qu’on peut en dire, est faite pour être vue. Et je crois qu’on ne voit jamais aussi bien les photos que sur des tirages et en prenant le temps de les regarder. Ca répond à un besoin d’être touché, en tout cas de se mettre en résonance, ce que j’ai du mal à faire avec l’image numérique. Encore une fois l’image numérique non tirée.

Donc une image numérique non tirée n’existe pas ?

J’aurais tendance à associer l’image numérique non tirée, à une image latente. La même que celle qu’on aurait dans un boîtier qui n’aurait pas été développée, voire même juste l’image sur le film. On la voit, on sait qu’elle est là, on la perçoit assez bien… On la voit  mais on ne la regarde jamais vraiment.

 

theground

The ground ©Raphaël Arnaud, « Périphérie du Rêve » (titre provisoire), janvier-avril 2016

 

Bientôt neuf milliards de Vivian Meyer ?

Ou pas. Parce que la facilité du medium numérique permet d’accumuler, mais à tendance aussi a complexifier le  tri. Même si nous avons des outils très performants pour faire ça, au final le photographe, même exigeant et chevronné, à tendance à collectionner les images, pour ensuite se retrouver avec des montagnes de données absolument impossibles à classer quelques années plus tard.

Le tri final c’est le privilège du temps. Ce sera à la fois ce qui aura été choisi et ce qui aura échappé à la destruction.

On y revient. Mais je crains que des milliards de très bonnes photos qui finissent dans des montagnes de données ne finissent par être vaporisées dans quelques années.

J’en ai bien l’impression. En fait je le sais déjà, puisque il y a un membre du collectif assez proche, que je ne citerai pas, qui a eu un crash de disque dur il n’y a pas très longtemps. Il a laissé certaines de ses plus belles images dans ce crash, et ça c’est contemporain finalement. Alors même que lui fait attention à ses images, les tries, les prépares. Il a suffit de quelques années pour qu’une partie de ses images disparaissent bêtement, alors même qu’il est très sérieux.

Dernière question : Pourquoi faire de la photo aujourd’hui ; est-ce que ça sert encore à quelque chose ?

Oui, je pense que ça sert à quelque chose. Finalement, même si ça peut paraître absurde, baisser les armes devant la profusion d’images publiées sur internet ou ailleurs à chaque seconde, c’est renoncer à sa propre part de rêve et à sa propre part de participation. On n’est pas obligé d’avoir un public à l’autre bout de la planète, l’important c’est quand même de trouver aussi soi même un ressenti au travers de l’image. Je le redis, même si ça peut paraître complètement absurde et qu’on est tous des Sisyphe de la photographie, il faut monter son rocher.

 

Le site de Raphaël Arnaud : www.raphaelarnaud.com

Le site du collectif Soon : www.seeusoon.org

Le collectif Soon sur Facebookhttps://www.facebook.com/collectifsoon

 

 

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